Plus on descend en profondeur dans les océans, plus la luminosité diminue. A partir de 150 m l’œil humain n’est plus capable de capter un seul rayon lumineux mais en dessous de 1000 m, c’est l’obscurité la plus totale. Et c’est à ce niveau que commence les abysses.
Cette zone représente plus de 50% de la surface de la Terre mais pourtant elle reste encore très mystérieuse. En effet les scientifiques affirment mieux connaître la surface de la lune que les fonds marins de notre propre planète, avec 95% de ces zones encore inexplorés. En effet, les explorations du monde abyssal sont très difficiles et onéreuses, essentiellement à cause des conditions extrêmes y régnant : pression écrasante, température en dessous de 5°C, obscurité totale, quantité très faible d’oxygène. Autant de conditions qui compliquent les recherches mais qui n’empêchent pas la vie d’exister.
Mais que sait-on vraiment de cet environnement si étrange ?
Un environnement (très) profond
Contrairement au terme grec abyssos signifiant « sans fond », les océans possèdent bien une limite. Mais ils atteignent tout de même des profondeurs vertigineuses. Ainsi le point le plus profond des océans actuellement connu se situe dans le Nord-Ouest de l’océan Pacifique au niveau de la fosse des Mariannes. Il se situe à plus de 11 000 m de profondeur (11 034 m pour être plus précis). Soit 11 km, ce qui est énorme ! En comparaison, le sommet le plus haut de la Terre qui est l’Everest culmine à 8 848 m. Les abysses ont commencé à être exploré vers la fin du 19ème siècle, pour réellement être découverts à partir des années 1960 lors de célèbres expéditions (ex : exploration de la fosse des Mariannes par les Suisse Jacques et Auguste Piccard et l’Américain Don Walsh, 1960). Ce fut alors le début d’incroyables découvertes telles que la présence d’une vie insoupçonnée au lieu d’un environnement que l’on croyait jusqu’alors désert et sans vie.

Mais comment des animaux peuvent-ils survivre dans un environnement aussi hostile et sans véritable source de nourriture ?
De la neige dans les abysses
Il est vrai que dans ces grandes profondeurs, on retrouve un nombre important d’organismes totalement adaptés à leur environnement. Pour la plupart d’entre eux, leur métabolisme tout comme leur croissance est extrêmement lent ce qui leur permet de survivre durant de longues périodes de jeûne. En revanche, ils bénéficient d’une longévité exceptionnelle pouvant facilement atteindre 100 ans.
Mais quel est donc le rapport avec la neige ?
Comme le milieu profond est très pauvre en nourriture, les organismes se nourrissent de ce qu’ils trouvent. Et la majorité de la matière organique se trouvant au fond provient de la surface des océans. En effet, contrairement à la neige classique qui est essentiellement composée d’eau, la neige marine est constituée de restes de matière fécale, de détritus et d’organismes en décompositions pouvant aller du phytoplancton majoritairement à des poissons plus gros. De taille microscopique, ces éléments organiques s’agrègent au fur et à mesure de leur descente dans les profondeurs, formant des flocons de plusieurs centimètres. Ainsi cette neige chargée de nutriments constitue la principale source de nourriture pour les créatures abyssales.
L’importance des baleines
Les baleines sont les plus gros mammifères de notre planète et on les retrouve partout dans nos océans. On estime leur population, toutes espèces confondues, à plus de 2 millions et environ 70 000 d’entre-elles meurent chaque année. Et parmi ces morts, 90% coulent tout au fond des océans créant ainsi des écosystèmes exceptionnels pouvant perdurer des dizaines voire des centaines d’années. Car une fois arrivée sur les plaines abyssales, ces cadavres subissent plusieurs étapes de décomposition. En premier, des charognards envahissent la carcasse pour se nourrir des différents tissus la composant. Il s’agit là d’animaux extrêmement résistant tel que des amphipodes pouvant jeûner durant presque 2 ans ou des Myxines, dépourvu d’yeux et de mâchoires. De plus grandes créatures, comme le requin dormeur, profitent également du festin. Ensuite quelques années plus tard, seul le squelette de la baleine est encore présent mais constitue toujours une ressource formidable. Ces os sont généralement recouverts d’un tapis de microorganismes vivant exclusivement sur les carcasses de baleines et se servant du sulfure d’hydrogène (H2S) comme source d’énergie. Cet H2S est généré par des bactéries décomposant la graisse contenue dans les os. Au même titre que des plantes utilisant la lumière comme énergie lors de la photosynthèse, il s’agit ici de la chimiosynthèse : phénomène unique et récemment découvert, il est aussi retrouvé au niveau des sources hydrothermales.

Ainsi les baleines jouent un rôle majeur dans l’écologie des écosystèmes abyssaux. D’une part en participant à la création de neige marine tout au long de leur vie mais également, une fois morte, en formant des écosystèmes particuliers permettant à beaucoup d’organismes abyssaux de se maintenir en vie et de se reproduire. Mais avec l’augmentation de la pêche industrielle depuis le 19ème siècle, les populations de cétacés ne cessent de se réduire, entraînant ainsi un fort déséquilibre de la chaîne alimentaire des abysses. Le chercheur Gary R. Smith (Université de Hawaï, USA) a déclaré en 2004 qu’entre 65 et 90 % des écosystèmes formés par les cadavres de baleines auraient disparu à cause de la chasse. Ce qui a sûrement induit la disparition au cours du 20ème siècle d’un grand nombre d’espèces abyssales sans que l’on ne s’en rende compte. Il devient ainsi très important de protéger nos océans pour préserver ce lien étroit unissant le monde vivant de surface à celui des grands fonds.
Retrouvez rapidement une deuxième partie sur le vaste thème des abysses. En attendant, vous pouvez parcourir le site internet pour découvrir d’autres articles très intéressants.
A dans 15 jours pour un nouvel épisode !